• Jean-Pierre Soisson •
Dans les rues d’Auxerre, dites Soisson et vous aurez une histoire. Ici, tout le monde connaît un Soisson. Cela fait trois générations que la famille fournit des célébrités locales…. Jean-Pierre est le plus connu d’entre tous. Il a servi sous 5 présidents, a participé à 8 gouvernements, été ministre de Chirac et Barre sous Giscard d’Estaing mais aussi de Rocard et Bérégovoy sous Mitterrand qu’il a très souvent reçu en Bourgogne. Il a été élu 10 fois député en 44 ans et a été maire de la ville pendant 27 ans… Jean-Pierre Soisson, c’est un "Homo politicus", un témoin privilégié qui a évolué au plus haut niveau de la politique française pendant 50 ans.
Opportuniste ? Il s’en défend, avançant les idées du centre, celles de Paul Bert, autre député d’Auxerre dont il a signé une biographie. Pour Jean-Pierre Soisson, cet « homme de Gambetta » incarnait l’idéal républicain. Il était animé par la certitude d’être capable de transformer la société, de travailler à l’apaisement des esprits, de supprimer les causes de discorde. Il a été, avec Jules Ferry, l’un des principaux acteurs de la séparation de l’église et de l’école.
Au fil de la 5ème République, de la guerre d’Algérie (où il s’illustre à la tête d’une unité de harkis) au vieil Auxerre qu’il fait réhabiliter par des architectes, de l’Assemblée Nationale aux coteaux fruités d’Irancy, du "grand Charles" à l’aube du XXIème siècle, des palais parisiens au terroir bourguignon, la vie de Jean-Pierre Soisson est à la fois épique et inimaginable. Elle trouve peut-être sa cohérence dans le credo qui la sous-tend. Durant toute sa carrière, menée au centre droit de l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, il dit avoir voulu "faire travailler ensemble des femmes et des hommes d’horizons différents"… Une idée qui a fait son chemin depuis.
Ce film retrace un destin d’homme d’Etat, le replace dans l’Histoire et sort du cadre pour extrapoler sur les grandes questions de la politique. Le commentaire en voix-off, les archives choisies et les témoins privilégiés interpellent Jean-Pierre Soisson sur les thèmes qu’inspirent son parcours : la guerre à 20 ans, la loyauté en politique, la part des idées et des réalités, l’ambition personnelle, la stratégie au service de la cité ou la nature de ce centre qui dépasse le centrisme comme en témoigne le succès aux présidentielles 2017 d’Emmanuel Macron qui instaure une alternative à l’alternance.
Qu’ils soient des proches de Jean-Pierre Soisson, journalistes ou hommes politiques, des grands témoins amènent, au fil de la narration, leurs réflexions sur les thèmes associés aux séquences, aident aussi à cerner l’homme, à comprendre le contexte historique. Le journaliste politique Alain Duhamel, animateur d’émissions cultes comme A armes égales ou L’heure de vérité et de débats célèbres : Giscard d’Estaing/Mitterrand en 1974 ou Chirac/Jospin en 1995 ; le politologue Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po, habitué du plateau de C dans l’Air de France 5 qui connaît bien le parcours de Jean-Pierre Soisson et a récemment participé à un débat avec lui à Auxerre ; Jean-Pierre Raffarin qui a accompagné lui aussi l’évolution du centrisme, des jeunes giscardiens à aujourd’hui et a été le collaborateur de Jean-Pierre Soisson bien avant d’être le Premier Ministre de Jacques Chirac ; Guy Roux, entraineur de l’AJ Auxerre dans sa période glorieuse et compagnon de toujours de Jean-Pierre Soisson ; Guillaume Larrivé, alors député de l’Yonne et ancien suppléant de Jean-Pierre Soisson et Marc Meneau, décédé depuis, chef étoilé qui accueillait régulièrement Jean-Pierre Soisson et François Mitterrand à sa table de L’Espérance à Saint-Père-sous-Vézelay.
Ce film profite d’archives exceptionnelles, choisies dans les stocks de l’INA qui permettent de remonter le temps de manière inédite, en retraçant un portrait personnalisé d’un politicien pas comme les autres, au fil d’un demi-siècle de politique française.
ERIC LE SENEY : "COMMENT J'AI RENCONTRÉ JEAN-PIERRE SOISSON..."
"Que retient-on des hommes politiques ? Leurs noms. Beaucoup plus que leurs idées ou leurs actions. Parmi ceux dont on se souvient le plus, immanquablement, émergent les patronymes que l’on a scandé, dans la rue, étant étudiant. "Soisson… Démission !" Le bruit criard des porte-voix résonne encore à mes oreilles… C’était en 1977. Je préparais le Certificat d’Aptitude au Professorat d’Education Physique. Le Ministre Soisson réfléchissait à l’idée qu’il n’y ait aucun poste d’attribué pour la session de 1978. Aucun poste après quatre ans d’études supérieures. Il y avait de quoi aller crier sur les avenues… S’il était passé par Caen, j’aurais pu, comme nombre de "profs de gyms", lui lancer quelques oeufs… Cela lui aurait valu (il le raconte avec humour) d’aller enfiler le costume de rechange que tenait à disposition son chauffeur pour lui permettre de discourir, décemment vêtu, sur les vertus du sport. Je n’ai pas lancé d’oeufs mais le nom de Soisson m’est resté en tête…
Près de 40 ans plus tard, quand on me propose de travailler à un portrait du "vieux lion" d’Auxerre, j’ai de lui une vision moins réductrice. J'ai pu, entre-temps, mesurer à quel point la politique de haut niveau nécessite d’avoir le caractère bien trempé pour affronter les tensions d’un univers réellement impitoyable. Dans ce contexte, qu’un politicien réussisse à participer à 8 gouvernements en étant réélu 9 fois député, cela donne pour le moins envie de l’interroger sur son parcours. C’est comme cela que je suis passé de Soisson Démission à Soisson… émission ! Avec le sentiment d’avoir à faire un film nécessaire et pour mission de trouver, tant sur le fond que sur la forme, une réponse à l’équation : comment accompagner et transmettre au mieux le témoignage d’un homme politique sans verser dans le panégyrique ou la polémique rétrograde. Comment trouver la hauteur nécessaire et la juste distance, dans l’esprit des grands documentaristes qui se sont essayés à relater et décoder la politique. On pense à Raymond Depardon filmant Giscard "en temps réel" dans son 1974 : une partie de campagne. Ou bien au plus récent De Gaulle, la fin d’un règne de Jean-Michel Djian.
Lors de notre premier rendez-vous, nous avons définitivement clos l’histoire des oeufs. La rencontre et le dialogue, rien de tel pour se faire une idée de la vraie nature d’une personnalité. Jean-Pierre Soisson est conforme à sa réputation : chaleureux, cultivé, courtois et malicieux…
A mon arrivée, il y a 12 ans à l'époque, dans ce coin de Bourgogne qui entoure Auxerre, j’ai apprécié d’emblée sa grande popularité. Avec Guy Roux, mythique entraîneur de l’Association de la Jeunesse Auxerroise (AJA), il compose un duo que les auxerrois appellent les deux consuls. La plupart des bourguignons rendent hommage à cet épicurien capable de parler littérature avec Mitterrand, de négocier les accords du GATT, de jouer au scrabble avec Anne-Aymone Giscard d’Estaing, de s’intéresser au thème astral de Charles le Téméraire ou de chanter des chansons à boire à Saint-Bris-le-Vineux.
Dans son appartement de la rue Elzévir, à deux pas de la place des Vosges, un verre d’Irancy rouge à la main, j’ai compris que l’on ne pouvait pas juste résumer cet homme-là à un simple "Soisson Démission !". Il fallait entendre son discours, mettre son parcours en perspective, lui demander comment il a pu louvoyer, pendant 40 ans, entre deux blocs politiques en guerre en gardant le cap au centre, jusqu’à devenir un symbole de l’ouverture. En sirotant le sang des vignes de l’auxerrois, je me suis rapidement convaincu que son témoignage devenait aujourd’hui quasi "historique". Interroger sa mémoire, c’était revisiter celle de la 5ème République, proposer un chemin pour transmettre une part de vérité aux générations plus jeunes, se servir des "petites histoires" de Jean-Pierre Soisson pour raconter la grande Histoire.
Ce soir-là, il m’a offert son livre Hors des sentiers battus / Chronique d’une vie politique. Charge à moi de le dévorer. J’y ai revécu un demi-siècle des événements politiques qui ont accompagné ma propre vie… En refermant cet ouvrage, j’ai su que j’avais un nouveau film à écrire et à réaliser. Un autre rendez-vous avec un chemin de vie à croiser, à comprendre, à révéler. Les coïncidences ne manquent pas pour le confirmer. Au début du parcours de Jean-Pierre Soisson, il y a la guerre d’Algérie, une clé que j’ai déjà croisé pour tenter de décoder ceux qui ont été lancé dans cette horreur à 20 ans, au début des années 60. Mon père d’abord qui a fait ses premières armes d’architecte du côté de Tlemcen, oeuvrant dans le génie militaire avant de devenir académicien. Et puis mon meilleur ami, Jean-Daniel Lorieux, photographe de mode célèbre que j’ai persuadé de raconter, dans un film, son retour d’Algérie où, après avoir pris pendant deux ans des clichés de cadavres en noir et blanc, il choisit de ne plus photographier que la beauté en couleur et en bikinis, sur fond de barrière de corail.
Comme moi, Jean-Pierre Soisson évolue entre Bourgogne et Paris, un chemin que je connais bien, celui des flotteurs de bois sur l'Yonne et la Seine, sujets de mon film Trains de bois pour Paris. Il connait, à la fois, les Hôtels ministériels de la rue de Varennes et les péniches du canal du nivernais que j’ai filmé pour la série Pourquoi chercher plus loin ?. Il fait dialoguer le terrain et les lois, les décrets et les hommes. Il s’inscrit entre deux mondes, en essayant de les faire travailler ensemble. Une piste médiane qui ressemble à un certain sens du centre et mérite d’être explorée, en particulier à l’heure de la percée d’un certain… Emmanuel Macron.
Entre Auxerre que j’apprenais à connaître et Paris que je connaissais bien, cette rencontre avec Jean-Pierre Soisson ressemblait à celle que j'ai eu avec la mémoire d'Alain Colas pour le film Alain Colas rêves d’océan. Curieusement, ils ont, tous les deux, été élèves du lycée Jacques Amyot d’Auxerre… "Jacam" pour les intimes."
Pour voir le film sur le site du producteur : Jean-Pierre Soisson, ma 5ème république
REPORTAGES AUTOUR DE CE FILM
L'écriture et la réalisation d'un documentaire s'étale sur environ 2 ans et si à l'arrivée, les spectateurs découvrent un film, un auteur-réalisateur vit lui-même beaucoup de choses que personne ne voit jamais. C'est l'utilité des reportages façon making-of que de révéler ces à-côtés qui sont souvent aussi très intéressants. Dans les vidéos, ci-dessous, apparaissent deux personnages aujourd'hui disparus, le chef cuisinier Marc Meneau et le viticulteur Alain Geoffroy auxquels nous tenons à rendre hommage par ces diffusions.
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LE MAKING-OF OFFICIEL
LA CABANE À SOISSON
TOURNAGE AU RENDEZ-VOUS
PROJECTION À L'ASSEMBLÉE